Conférencier et économiste, Thierry Malleret est également le cofondateur et le contributeur principal du service en ligne d’analyse prédictive dédié aux investisseurs privés, The Monthly Barometer. C’est l’un des faiseurs d’opinion les plus suivis tant par les spécialistes que par le grand public.
Dans cet entretien exclusif, Thierry Malleret répond à toutes nos questions : état de l’économie mondiale, la situation de la Chine, des États-Unis, la montée du populisme en Europe, les récentes élections, son avis sur le blockchain et le bitcoin.
Question London Speaker Bureau France : Vous avez travaillé auprès de banques d’investissements et aux côtés des premiers ministres français Jacques Chirac et Michel Rocard pendant plusieurs années. Economiste reconnu, vous avez aussi conçu et mis en place le programme du sommet de Davos à maintes reprises. Aujourd’hui, vous êtes devenu cofondateur et contributeur principal de Monthy Barometer, un service en ligne d’analyse prédictive dédié aux investisseurs privés.
Déjà auteur de quatre romans, prévoyez-vous d’en écrire un cinquième ? Quels sont vos projets actuels et futurs ?
Thierry Malleret : J’ai un livre qui sort en anglais en octobre et en français en avril 2018 : « Faites le Premier Pas. Dix Bonnes Raisons d’Aller Marcher ». J’espère qu’il sera traduit dans beaucoup d’autres langues ! C’est un bouquin hybride, à mi-chemin entre l’essai, le « self-help book » comme disent les Britanniques et le livre académique. Il démontre, preuves scientifiques à l’appui, que la marche est incroyablement bénéfique, aussi bien en termes micro (pour nous en tant qu’individus) qu’en termes macro (pour la société dans son ensemble). Je donne dix raisons différentes qui devraient toutes nous inciter à marcher davantage. L’un des chapitres s’intitule « C’est bon pour la prise de décision ». On prend en effet de meilleures décisions d’investissement ou stratégiques lorsqu’on marche. C’est la raison pour laquelle The Monthly Barometer propose à ses clients de travailler en haute ou moyenne montagne. Le livre consacre quelques pages à cela : ça marche très bien ! Après sa sortie, je me mettrai à un nouveau roman – un thriller bien entendu…
LSB France : Vous avez fondé puis dirigé le Global Risk Network au Forum Economique Mondial jusqu’en 2007. Dans le contexte actuel de mondialisation et d’économies interconnectées, quels sont, selon-vous, les principaux risques auxquels les entreprises vont devoir faire face ?
T.M : Le Global Risk Network publie chaque année un classement des risques globaux basé sur une méthodologie extrêmement rigoureuse et qui a fait ses preuves. Par nature, les risques sont idiosyncratiques : ils ne sont jamais identiques pour tous. Si vous êtes une multinationale minière qui opère dans les marchés frontières, vos risques seront différents de ceux d’une société pharmaceutique dont les principaux marchés sont occidentaux ou encore d’une société technologique chinoise qui cherche à se diversifier à l’international. Comme le suggère votre question, les risques principaux découlent de l’interdépendance. Les risques s’entrechoquent les uns les autres et génèrent des effets boule de neige pour lesquels beaucoup de sociétés ne sont pas préparées. S’il ne fallait n’en nommer que deux qui sont véritablement globaux et concernent toutes les sociétés, ce seraient le risque cyber qui évolue à une rapidité prodigieuse, et le risque d’Intelligence artificielle : c’est une phénoménale opportunité pour certains et un risque grandissant pour ceux qui sont en déni. Souvent, les risques les conséquents sur le plan financier sont ceux qui paraissent impensables. Qui aurait pu croire il y a quelques mois que les Etats-Unis pourraient devenir un risque pour le reste du monde et que l’hypothèse d’une guerre civile, ou en tout cas d’une violente crise sociale, sur le territoire américain n’appartient plus au domaine de la politique fiction ?
LSB France : Dans l’une de vos récentes newsletters du Monthly Barometer, vous abordez la situation économique de la Chine (endettement) et l’impact des résultats des élections présidentielles américaines sur les investissements. Selon vous, en quoi cela va-t-il impacter le reste de l’économie mondiale ?
T.M : D’une façon absolument considérable- Les Etats-Unis et la Chine sont les deux moteurs de la croissance mondiale. Leurs soubresauts affecteront le reste du monde – cela ne fait aucun doute.
LSB France : Au vu des récents événements politiques, une majorité des analystes partagent des inquiétudes quant à une montée du populisme en Europe et au-delà. Que pensez-vous de leurs programmes économiques ? Comment expliquez-vous leur succès politiques ?
T.M : Cela fait plus de cinq ans que j’exprime dans The Monthly Barometer la conviction que le risque populiste est surestimé en Europe continentale et sous-estimé dans le monde anglo-saxon. Les récentes élections m’ont donné raison. Les situations qui amènent à des points de rupture n’évoluent jamais de manière linéaire, mais se produisent par soubresauts, comme avec le Brexit et l’élection de Trump. Ces deux chocs sont la résultante des excès du capitalisme anglo-saxon. Pour les politiques économiques européennes, la principale complexité est de trouver un équilibre entre le souci d’efficience et le souci d’équité.
LSB France : Dans ce contexte, les élections de Mark Rutte aux Pays-Bas ou encore celle d’Emmanuel Macron en France semblent s’inscrire à contre-courant de la tendance générale. Comment analysez-vous ces épiphénomènes ? A quels changements les entreprises doivent-elles se préparer ?
T.M : Je ne pense pas qu’elles s’inscrivent à contre-courant de la tendance générale. Les politiques sociales européennes, beaucoup plus généreuses que dans le monde anglo-saxon, ont permis (jusqu’à présent) d’endiguer la vague populiste. L’élection de Macron ou Rutte s’inscrit par conséquent dans la tendance qui prévaut en Europe. Le risque populiste n’a pas disparu pour autant. Pour le contenir, les gouvernements feront tout ce qui est en leur pouvoir pour limiter la hausse des inégalités et augmenter les revenus réels. Cela signifie que les entreprises doivent se préparer à un monde beaucoup plus régulé dans lequel les gouvernements n’accepteront plus certaines déviances comme l’optimisation fiscale à outrance des dernières années. Dans un registre différent, les gouvernements mettront en place des politiques destinées à limiter la rémunération des cadres dirigeants. De plus en plus, l’entreprise sera « sous contrôle ».
LSB France : La Chine possède le 2è plus gros PIB au monde, derrière les Etats-Unis. Pourtant, elle se classe au 79ème rang en termes de bonheur. Face à cela, la Norvège est élue « le pays le plus heureux du monde » en 2017, tandis que son PIB atteint seulement la 28è place. Ces observations semblent remettre en question le lien positif entre croissance économique (PIB) et bonheur. Qu’en pensez-vous ? (Qu’en pensez-vous ? La croissance de la production d’une économie doit-elle nécessairement prévaloir sur le reste ? En d’autres termes, le rythme effréné de la course à la croissance est-il justifié ?)
Thierry Malleret : Une fois qu’un certain niveau de richesse (mesuré en PNB par personne) est atteint, le niveau de bonheur dépend moins de la richesse matérielle et de la croissance économique, et bien davantage de facteurs intangibles que le calcul du PNB ne prend pas en compte, en particulier l’accès au système de santé, un tissu et une cohésion social robuste, la liberté, et l’absence relative de corruption. C’est pourquoi tôt ou tard (et d’ailleurs plutôt tôt que tard), la tyrannie de la croissance purement matérielle (« à la PNB ») prendra fin, et beaucoup des normes sociales qui définissent notre comportement en groupe commenceront de changer. Des valeurs telles que l’empathie, une consommation responsable, le respect de l’environnement deviendront la norme et beaucoup plus « cool » qu’elles ne le sont aujourd’hui. D’ailleurs, un nombre croissant d’entreprises et de gouvernements à travers le monde commencent d’incorporer des mesures de bien-être dans leurs chartes commerciales et leurs politiques publiques, prenant conscience que le bien-être de leurs employés et citoyens doit être mesuré en termes de ce qui nous satisfait plutôt qu’en fonction de critères purement matériels (c’est-à-dire ce que nous gagnons et ce que nous consommons). En conséquence, les décideurs politiques et les leaders économiques se concentrent davantage sur les conditions susceptibles de créer le plus de satisfaction possible parmi la population ou à l’inverse : le moins de misère possible (au sens non monétaire du terme, en s’efforçant, par exemple, de réduire l’incidence de la dépression qui explose parmi les adolescents dans les pays riches). Les deux se mesurent à partir d’indices de satisfaction dans la vie, et incluent des variables économiques (comme le revenu disponible et l’emploi / taux de chômage), des composantes sociales (comme l’éducation et la situation familiale) et de santé (à la fois physique et mentale).
London Speaker Bureau France : La banque suisse Falcon Private Bank est aujourd’hui la première banque à donner l’opportunité à ses clients d’investir dans le Bitcoin, la monnaie virtuelle la plus connue du marché. A l’ère du numérique, comment pensez-vous que les nouvelles crypto-monnaies et les nouvelles plateformes technologiques telles que les blockchains sont amenées à redessiner les rapports à la monnaie ? Le Bitcoin a désormais dépassé 4000$ de valeur : bulle spéculative ou réelle opportunité d’investissement ?
Thierry Malleret : Je ne sais pas ! C’est extrêmement difficile de définir une bulle, et si c’en est une d’avoir une idée du moment où elle explosera. Dans le cas des crypto-monnaies, je sais simplement qu’elles sont promises à un bel avenir car on ne peut pas contre le développement technologique qui les rend possibles.