Conferencier Herve Pillaud

Entretien exclusif avec Hervé Pillaud : Évangéliste de l’agriculture numérique

Hervé Pillaud est un agriculteur-éleveur qui milite activement pour révolutionner le monde agricole grâce aux possibilités offertes par les nouvelles technologies telle que l’IA, les blockchains, le Big Data, les biotechs.

Loin de la vision manichéenne que beaucoup ont de l’agriculture, Hervé Pillaud est convaincu qu’il n’y a pas de réponses simples à une problématique complexe.
Très engagé, Hervé a organisé le premier Agri Startup Summit en novembre 2017 réunissant une trentaine de startups issues du monde entier pour imaginer l’agriculture responsable de demain. Il a créé le salon TechElevage en 2013 qui est devenu un rendez-vous incontournable des éleveurs en France, avec la présence de plus de 8000 professionnels réunis autour d’un « bar de l’innovation » pour présenter les solutions techniques visant à optimiser la production agricole de manière durable.

Également auteur, Hervé a publié deux essais, « Agronuméricus » et « Agroeconomicus », préfacés par les figures du digital en France : Gilles Babinet et Axelle Lemaire. Il a participé à de nombreux ouvrages collaboratifs dont « L’avenir c’est demain ! 27 propositions pour 2035 », pour lequel il a rédigé l’une des propositions. Autodidacte, Hervé Pillaud se nourrit des échanges avec des agriculteurs et des startups à travers le globe pour construire l’agriculture du futur (Afrique, Israël, Égypte…).
Hervé Pillaud alimente régulièrement son blog et participe à de nombreuses conférences (Maddyness, TEDX, Business France…).

En tant que militant actif, vous êtes membre ou présidez de nombreuses organisations (membre du Conseil National du Numérique, membre d’honneur de la Ferme Digitale, etc.). Quel a été le facteur déclencheur qui a motivé votre engagement ?
Comment parvenez-vous à gérer de front votre exploitation et vos activités parallèles ?

Engagé depuis longtemps dans les organisations agricoles françaises, j’ai vite compris que l’évolution nécessaire de l’agriculture, pour à la fois répondre aux besoins alimentaires d’une population toujours plus nombreuse, soucieuse de ce qu’elle met dans assiette et au respect des écosystèmes naturels fragiles passerait par l’innovation et la communication. Les technologies de l’information associées aux biotechs sont deux piliers majeurs de cette évolution. Si mon exploitation agricole est désormais gérée par un jeune agriculteur qui va me succéder, je me suis depuis longtemps organisé pour pouvoir conduire mes différentes activités.

C’est notamment l’utilisation d’OAD (outils d’aide à la décision) et de surveillance à distance qui me permettent de piloter mon exploitation. C’est le cas d’un nombre croissant d’agriculteurs qui font confiance au numérique : en France, en 2019, 67% des agriculteurs utilisent des nouvelles technologies pour leurs activités de façon significatives : 31% utilisent un GPS sur leur tracteur (téléguidage) 18% utilisent une station météo connectée, 20% des éleveurs utilisent des caméras de surveillance et 19% des tracteurs sont équipés de caméras de guidage. Au-delà de l’utilisation du numérique sur mon exploitation, c’est la communication digitale et les relations que les médias sociaux m’ont permis de créer dans la vraie vie qui ont déclenché mon engagement pour le développement du numérique en agriculture.

Vous êtes un fervent défenseur de l’agriculture de précision. Pouvez-vous nous expliquer dans quelles mesures les nouvelles technologies peuvent permettre d’accroître la productivité tout en limitant l’empreinte écologique ?

L’agriculture de précision est un élément important de l’évolution de l’agriculture, non seulement sur le plan économique par l’optimisation des charges de productions et la capacité à atteindre les objectifs de rendement mais aussi sur le plan environnemental en faisant tendre vers zéro les rejets dans la nature de nitrates, de phosphates et autres éléments nutritifs nécessaires à la plante, en n’apportant que les besoins nécessaires, évitant ainsi les rejets excessifs.

À ce titre, l’intelligence artificielle nourrit beaucoup d’espoirs, non pas pour se substituer à l’agriculteur, mais pour augmenter les capacités de son propre cerveau. Elle est un élément majeur d’une recherche de performance globale, l’agriculture de précision représente une avancée pour les agriculteurs si elle est fondée sur la triple performance économique, environnementale et sociale : nous sommes attendu par la société pour nos performances économiques permettant de fournir une alimentation de qualité à un prix compétitif (la performance économique doit donc être le cœur de nos préoccupations et l’agriculture de précision permet d’améliorer nos performances) ; nous sommes attendus également pour nos performances environnementales, notamment en matière de réduction des pollutions et là encore l’agriculture de précision nous apporte les éléments nécessaires limiter l’impact sur l’environnement. Sur le plan humain (social) le numérique facilite et sécurise le travail des agriculteurs et de leurs collaborateurs. L’agriculture de précision est donc un élément essentiel du développement de l’agriculture du 21ème siècle.

Selon vous, le monde agricole est-il aujourd’hui prêt à entamer une rupture pour embrasser la révolution digitale ?

C’est toujours dans l’adversité que l’on a besoin de solutions nouvelles et l’agriculture vie une succession de crises comme elle en a peu connu par le passé. Une crise de sens tout d’abord : elle doit faire face à une vision de plus en plus manichéenne que la société a de l’agriculture alors que les problématiques sont de plus en plus complexes ; une crise économique également car dépendant d’un marché de plus en plus mondialisé même si la demande de production locale se fait de plus en plus prégnante ; une crise sociale : de moins en moins de jeunes sont attiré par un métier qui reste encore dur et contraignant. Fort de ces constats, peut-on dire que les agriculteurs sont prêts à entamer une rupture pour embrasser la révolution digitale ?

Pour répondre, il faut partir des besoins et des préoccupations des agriculteurs pour apprécier convenablement la façon dont le numérique va impacter l’agriculture. L’agriculteur est détenteurs de savoirs capables de mettre en œuvre et valoriser à bon escient ces écosystèmes que la nature nous offre permettant ainsi de passer d’une agriculture intensive en utilisation d’intrants à une agriculture intensive en utilisation de connaissances. Le numérique permet ça et peut ouvrir le champ des possibles. De plus en plus d’agriculteurs en sont conscient et sont prêt à entamer les ruptures nécessaires pour embrasser la révolution digitale. Le changement de paradigme est moins dans la technique que dans les opportunités qu’elle nous offre.

Les agriculteurs et éleveurs français souffrent d’un manque de ressources et d’une pression très forte pour répondre à la demande en termes de production.

Que pensez-vous du rôle à jouer de l’État et des collectivités dans l’accès et la formation du monde agricole aux nouvelles technologies ?
Capacités financières accrues et besoins de formation nouveaux sont deux piliers essentiels à l’évolution de l’agriculture. Les collectivités ont un rôle à jouer à tous les niveaux : l’Europe dans son prochain programme agricole veut mobiliser la politique agricole commune (PAC) pour développer les technologies numériques et plus globalement l’innovation comme des leviers essentiels de la transformation du secteur agricole. L’État et les collectivités ont globalement la même volonté, mais c’est bien au-delà̀ de l’incitation à aller vers l’agriculture de précision productive et respectueuse de l’environnement que les efforts doivent être portés.

L’orientation de la recherche et de la formation vers la triple performance sont essentiels pour l’accompagnement des mutations agricoles. Le dernier rapport du GIEC sur l’état des sols l’a encore montré, l’agriculture a un rôle majeur à jouer dans le rétablissement des équilibres naturels, le numérique et l’innovation peuvent nous aider si nous nous en donnons collectivement les moyens. Il est nécessaire d’intégrer le numérique à la fois dans les outils de formation, les méthodes pédagogiques mais aussi par la création « d’agrilabs » ou agriculteurs, chercheurs, étudiants et bidouilleurs de toutes sortes pourront créer ensembles de nouveaux outils et de nouveaux concepts. Des financements publics associés à des moyens privés notamment d’entreprises convaincu par la performance globale peuvent être mobilisés pour accompagner la mutation de l’agriculture. Nous ne devons rien négliger en matière de formation et de mobilisation de moyens pour réussir le pari d’une agriculture viable, vivable et durable à tous les échelons de la chaine de valeur du producteur au consommateur.

Chaque année, vous organisez un concours international de startups pendant l’Agri Startup Summit. Quelles sont les innovations marquantes de cette dernière édition ?

L’Agri Startup Summit est le premier évènement en France porté par des agriculteurs réunissant les porteurs de projets nouveaux alliant innovation, technologie, agroécologie, environnement, alimentation au service de l’agriculture de demain. Parce que le brassage des cultures et des expériences, associés à la découverte de réalisations atypiques sont nécessaires au développement, nous offrons chaque années un Learning Tour à une trentaine de jeunes pousses venant des cinq continents pour leur permettre à la fois d’échanger et de découvrir ce qui se fait dans notre pays. C’est ainsi que cette année, le périple éducatif les conduira à la découverte de la réalité virtuelle à Laval ; à visiter la ferme expérimentale de Derval, leader du réseau Digiferme ou l’on teste toute sorte de technologies nouvelles ; à la visite d’un fabriquant d’hydraulique entamant un virage vers la robotique agricole ; un incubateur au contact de startups d’autres secteurs ; le salon Tech Élevage et son Bar de l’innovation.

La journée collabor’active, le mercredi 20 novembre sera le point d’orgue de la manifestation, elle permet aux jeunes pousses de présenter à leur tour leur entreprise devant à la fois un public curieux et un jury d’experts chargé de faire ressortir les meilleures initiatives. Cette année nous avons mis l’accent sur l’open source et les projets permettant le partage proactif des données semble émerger. Les startups inscrites traitent pêle-mêle des sujets suivants : connaissance de sols, aide à la décision, pilotage de l’irrigation à distance, gestion de la traçabilité produit …

Vous vivez entre la France et l’Afrique et de nombreuses startups locales (Sénégal, Nigéria, etc.) ont rejoint les éditions passées de l’Agri Startup Summit.
Dans quelles mesures le monde agricole français pourrait-il s’inspirer des innovations du continent africain ?

Les réalités mondiales du développement de l’agriculture et de l’agroalimentaires ont changé, historiquement fondées sur un rapport Nord Sud, il est aujourd’hui nécessaire de privilégier des réponses aux problèmes de développement fondées sur les capacités d’initiatives et d’innovation locales. L’Afrique a pris conscience de l’opportunité du numérique pour son développement, notamment en matière alimentaire, agricole et sociale : est-il désormais possible de parler d’agriculture en Afrique sans évoquer le numérique ?

Depuis sa création il y a deux ans, l’Agri Startup Summit a fait la part belle aux startups africaines. J’ai voulu rassembler les startups du sud et du nord pour favoriser l’enrichissement croisé. C’est également les principes que nous voulons développer au sein de Digital Africa. L’Association DIGITAL AFRICA met en œuvre une plate-forme multi sectorielle visant à capitaliser et développer les échanges entre tous les acteurs du numérique Africains et Européens. Au sein de Digital Africa, nous voulons porter ensemble un monde en commun, ouvert et inclusif qui va favoriser l’émergence et l’accélération de l’innovation agricole, agroalimentaire et environnementale africaine. Le concept de co-développement doit prévaloir. Ce doit être un concept disruptif qui conçoit la complémentarité des secteurs, mais aussi celle des pays et des continents. Ce sont les Africains qui feront émerger leurs propres modèles agricoles. Notre rôle ne peut être que celui de passeurs, de facilitateurs, c’est la volonté de Digital Africa.

Quelle est votre citation favorite ?

« Là où se trouve une volonté, il existe un chemin » Winston Churchill

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