Michelle King, experte mondiale en égalité homme-femme dans les organisations, possède une solide expérience dans le soutien aux femmes évoluant dans les secteurs de l’innovation et de la technologie. Elle a présidé des programmes internationaux militant en faveur de la diversité, de l’inclusion et porte-paroles des femmes au travail.
Michelle a présidé la Coalition mondiale de l’innovation pour le changement de l’agence ONU-Femmes, qui a signé des accords avec plus de 30 acteurs du secteur privé. Elle est membre du conseil de Girl Up, une campagne menée par les Nations Unies pour la protection des adolescentes. Elle est connue pour son podcast hebdomadaire rassemblant de nombreux auditeurs, « The Fix », dans lequel elle interview des militants, des leaders d’opinion et des dirigeants, pour partager des pistes concrètes pour assurer l’égalité homme-femme au travail. Michelle a rassemblé ses connaissances et son expérience dans son dernier livre, « The Fix: Overcome the Invisible Barriers that Hold Women Back at Work ». En 2020, Michelle a été invitée pour s’exprimer dans une conférence lors de la remise du Prix Nobel de la Paix et a récemment participé à un webinar organisé par la Harvard Business Review, sur le thème « Comment les dirigeants peuvent-ils agir pour lutter contre les inégalités au travail ».
Qu’est-ce qui a inspiré ou influencé votre volonté de dédier votre carrière à la lutte pour l’amélioration de l’égalité homme-femme dans les organisations ?
En tant que défenseur de l’égalité au travail, j’essaie simplement de sensibiliser aux difficultés auxquelles les femmes sont confrontées au travail et de conseiller sur les actions que les hommes et les femmes peuvent mettre en place pour surmonter ces obstacles et les vaincre. L’objectif est réellement d’essayer de faire en sorte que les lieux de travail soient adaptés à tous. L’égalité va au-delà des hommes et des femmes, il s’agit de créer un environnement de travail où chacun ressent qu’il peut être soi-même et qu’il sera valorisé pour cela. Ces types d’environnements sont connus sous le nom de « cultures de l’égalité » et ma mission est de les implanter sur chaque lieu de travail.
Aujourd’hui, de nombreux facteurs contribuent à l’inégalité envers les femmes dans les entreprises. Un grand nombre d’entre eux sont enracinés dans les fondements de notre société. Est-ce que cela signifie que, comme certains l’affirment, le changement n’arrivera qu’avec l’arrivée des générations futures ?
C’est un argument facile souvent mis en avant par ceux qui ne veulent pas prendre part aux actions en faveur du changement. L’égalité n’est pas quelque chose qui nous tombe dessus, c’est une expérience vécue tout comme la sécurité au travail. L’égalité est une pratique, c’est quelque chose que nous réalisons à travers nos actions collectives et nos interactions.
L’égalité n’est pas quelque chose qui nous arrive simplement. Ce n’est pas une question d’attente. Il ne suffit pas d’être en faveur de l’inclusion et de la diversité, vous devez les rendre indissociables du fonctionnement de votre lieu de travail.
Pensez-vous que les gouvernements devraient être plus actifs dans la lutte pour l’égalité, la diversité et l’inclusion au travail via la législation ?
Je ne suis pas une spécialiste de la politique publique mais, encore une fois, cela implique que le problème peut être résolu grâce à l’intervention seule du gouvernement (à l’aide d’objectifs, de quotas et de mesures), ce qui ne sera jamais le cas. Bien sûr, la législation contribue largement à établir des normes obligatoires sur la manière dont les hommes et les femmes doivent être traités au travail et les avantages auxquels ils pourraient avoir droit, mais il s’agit d’une base de référence, et il n’y a aucune garantie que les minorités au travail soient valorisées grâce à cela. L’objectif est que les dirigeants assument la responsabilité des cultures qu’ils créent, en constituant une équipe de travail diversifiée et en valorisant cette diversité.
Existe-il des entreprises dans lesquelles vous sentez que les femmes sont autant représentées et respectées que les hommes et que nous devrions citer en exemple ?
Je ne pense pas que les « best practices » soient réellement un moyen de résoudre ce problème, car la culture est très spécifique à chaque organisation. Alors qu’il existe des programmes qui ont généralement un impact, tels que les programmes partenaires ou des groupes de ressources entre employés, ce n’est en aucun cas une condition requise pour bâtir une culture inclusive. Il n’existe pas deux cultures d’entreprise identiques.
Cependant, tous les exemples d’inégalités sont une conséquence directe du leadership (ou d’un manque de leadership). Donc, si les entreprises veulent combattre ce problème, elles doivent observer leurs dirigeants et leur permettre de mieux gérer les manifestations de l’égalité au quotidien et la manière dont ils encouragent ces manifestations à travers les actions qu’ils récompensent, ignorent, soutiennent et valorisent.
Quelles actions les employés peuvent-ils mettre en place pour combattre l’inégalité et faire pression sur leurs entreprises pour améliorer la diversité et l’inclusion ?
J’encourage vraiment l’ensemble des hommes et des femmes à se mettre au travail, pour renforcer leur connaissance et leur compréhension de l’inégalité et pour remettre en question leur déni. Nous nions tous dans une certaine mesure la façon dont les inégalités se manifestent au travail. La plupart d’entre nous aiment à croire que les lieux de travail fonctionnent comme des méritocraties, mais ce n’est tout simplement pas le cas.
Les discriminations liées au succès sont construites sur un idéal de leadership datant des années 50 et dépassé. Pour soutenir les hommes et les femmes au travail en surmontant les barrières systémiques qui existent sur les lieux de travail, tels que le sexisme, l’âgisme, l’homophobie, les barrières liées aux classes sociales, le racisme et le capacitisme, nous devons savoir quelles sont ces barrières et comment elles se matérialisent sur le lieu de travail. Vous devez donc effectuer un travail sur vous-mêmes pour vous éduquer. Si des problématiques mettant en cause l’égalité surviennent en journée, vous serez en mesure de les reconnaître et d’agir en prenant la parole pour défendre vos collègues, mais également vous-même.
Existe-il des industries en particulier encore largement dominées par les hommes, que nous devrions tenter de challenger ?
L’inégalité, et plus particulièrement l’inégalité homme-femme, est présente partout.
Elle ne connaît aucune frontière car nous vivons dans des sociétés patriarcales. Dans mon livre, je me penche réellement sur le sujet en expliquant comment nous en sommes arrivés là et pourquoi le principal défi désormais est de lutter contre les formes plus discrètes du sexisme et du racisme. En effet, certaines des organisations les plus sexistes et racistes sont les plus grands défenseurs de l’égalité. L’objectif n’est donc pas de pointer certaines industries qui peuvent être davantage dominées par les hommes, mais plutôt de déconstruire notre déni collectif en se concentrant sur nos comportements qui pourraient encourager la marginalisation, la discrimination, exclure et dévaloriser nos collègues au travail.
Au cours de la dernière décennie, nous avons fait un grand pas en avant dans la création d’environnements de travail meilleurs et plus équitables. Mais, pensez-vous que les organisations mettent réellement l’accent sur la question aujourd’hui ?
Les initiatives des entreprises, sur lesquelles les entreprises communiquent elles-mêmes pour prouver qu’elles ont résolu le problème de l’inégalité entre les sexes, sont une forme de déni. Les organisations encouragent les employés à croire que l’égalité entre les sexes a été atteinte, alors qu’en fait ce n’est pas le cas. Par exemple, un récent sondage Gallup révèle que 53% des américains pensent que les hommes et les femmes ont atteint l’égalité en matière d’opportunités d’évolution au travail. Cela est expliqué par le fait que la recherche montre que 63% des hommes pensent que leur entreprise fait ce qu’il faut pour lutter contre les inégalités homme-femme.
Cette vision vient du fait que l’approche traditionnelle mobilisée dans la résolution du problème, qui comprend des initiatives pour améliorer la diversité et l’inclusion comme la formation à la diversité, la mise en place d’objectifs de recrutement en faveur de la diversité et des programmes de développement axés sur les femmes, dépersonnalise le problème dans son ensemble. Ces initiatives donnent l’impression que les entreprises s’attaquent au problème alors qu’en réalité il demeure inchangé.
Cette approche ne fait qu’alimenter le déni et offre la possibilité aux employés de se désengager car ils pensent que l’entreprise s’en charge. Cela est en contradiction directe avec une étude de Pew Research datant de 2017, selon laquelle 42% des femmes aux États-Unis déclarent avoir été victimes de discrimination sur leur lieu de travail en raison de leur sexe. Les exemples rapportés incluaient le fait d’être traitée comme moins compétente, de recevoir moins de soutien de la part des dirigeants, de devoir faire face à l’isolement social ou de se voir refuser des opportunités d’évolution professionnelle. Les inégalités surviennent chaque jour, mais le déni nous empêche d’agir. Lorsque la discrimination apparaît au travail, les employés peuvent identifier la situation mais ils pensent qu’il ne s’agit que d’événements ponctuels que les femmes doivent apprendre à surmonter seules. Cela, à son tour, fait croire que les femmes sont à l’origine du problème, et non les environnements de travail.
Votre dernier livre, « The Fix: Overcome the barriers that are holding women back at work », met l’accent sur le fait que ce n’est pas aux femmes de changer pour ressembler davantage aux hommes, mais que c’est au lieu de travail d’évoluer. S’il n’y avait qu’un conseil clé à retenir de votre livre, lequel serait-il ?
Ce n’est pas vous. C’est votre lieu de travail. Les entreprises n’ont jamais été conçues pour la différence. Lutter contre ce problème commence par le fait de diagnostiquer correctement le problème, qui provient de l’environnement de travail, et non des femmes.
Les scientifiques ont affirmé que le COVID-19 affectait plus particulièrement les minorités ethniques. Pensez-vous que cela va se transposer et que la crise sanitaire actuelle va influencer l’objectif à long terme de voir apparaître un lieu de travail plus inclusif et diversifié ?
Le COVID-19 met en lumière les divers problèmes qui existent dans le monde et qui affectent les personnes vivant dans des communautés exclues. Les femmes constituent la majorité des travailleurs de la santé et des services sociaux, ce qui les expose à un plus grand risque de contracter le COVID-19. Pourtant, elles continuent de gagner 11% de moins que les hommes qui travaillent dans le même secteur. Ce sont des femmes qui ne gagnent pas ce qu’elles méritent de gagner, et pourtant elles sont en première ligne et mettent leur vie en danger. Nous devons aider à les soutenir. Nous devons trouver des moyens de nous assurer qu’elles sont payées et qu’elles obtiennent ce qu’elles méritent.
Certains pensent que la transformation digitale forcée causée par le COVID-19 et la naissance d’un nouvel environnement de travail assisté par la technologie vont rapidement mettre en lumière des biais inconscients. Par exemple, les outils de visioconférence aident l’ensemble des salariés à se faire entendre. Mais est-ce que davantage de technologie va remédier aux enjeux liés à la diversité et à l’inclusion ou, au contraire, les aggraver ?
Je pense que cela dépend de la manière dont vous analysez l’impact de la pandémie. D’un côté, cela a été incroyablement complexe à gérer mais, d’un autre côté, cela a offert aux organisations l’opportunité de réinventer la manière dont nous travaillons.
En mai 2020, Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, a annoncé que près de la moitié des effectifs de son entreprise pourrait travailler à distance d’ici 5 à 10 ans. Alors que Jack Dorsey est allé encore plus loin, en offrant aux employés de Twitter et de Square la possibilité de travailler depuis chez eux lorsqu’ils le souhaitent et de manière illimitée. Alors que les lieux de travail physiques ne sont pas tous prêts de disparaître de la Silicon Valley, ces déclarations représentent une avancée majeure dans la création d’environnements de travail à distance permanents.
Manager des employés à distance n’est pas aussi simple que de leur annoncer qu’ils ont la possibilité de travailler depuis chez eux. Cela demande aux managers de déléguer, de coacher et de soutenir leurs employés pour concilier travail et vie à la maison.
En mai dernier, Circle In, une organisation qui aide les entreprises à soutenir les parents qui travaillent, a mené une enquête en ligne et a découvert que 97% des hommes et des femmes souhaitaient conserver la liberté de travailler de manière flexible lorsque les restrictions relatives au COVID-19 seraient levées. Les employés veulent définir où ils travaillent et quand ils travaillent, et avoir la possibilité de réduire leurs heures de travail si nécessaire. La technologie permettra cela et le COVID-19 nous a donné l’occasion de redéfinir notre façon de travailler pour de bon.
Étant tous contraints de travailler depuis la maison, un changement va-t-il s’opérer en matière d’égalité des sexes alors que les conjoints vont peut-être découvrir ce avec quoi leur partenaire jongle au quotidien et décider de partager la charge de travail ? Peut-il y avoir un changement durable qui va déclencher une répartition des tâches de manière plus équitable ?
Eh bien, cela ne joue pas en faveur des femmes. Le COVID-19 a augmenté la charge mentale des mères qui travaillent, en raison de la difficulté accrue liée à la gestion des autres priorités telles que les tâches ménagères, les soins des personnes à charge, l’école à la maison et le travail à distance.
Gérer une liste interminable de choses à faire à la maison, en plus de préserver son emploi, peut entraîner une augmentation de la charge mentale et émotionnelle, du stress et une réduction de la productivité, ce qui a un impact négatif sur la réussite professionnelle à long terme.
Alors qu’un soutien renforcé au travail et à la maison réduirait considérablement la charge mentale des femmes, il est beaucoup plus difficile de gérer la tension émotionnelle associée pendant la pandémie. Une enquête menée en juillet 2020 par Total Brain révèle que 83% des femmes et 36% des hommes ont connu une hausse de l’état dépressif et 53% des femmes qui travaillent et 29% des hommes ont connu une hausse de l’anxiété depuis février 2020. Donc les femmes assument la majeure partie des tâches domestiques et des responsabilités à l’égard des enfants, ce qui a un impact déterminant négatif sur leur santé mentale et émotionnelle et leur réussite professionnelle à long terme. Nous devons répartir la charge de travail à la maison et créer des cultures sur le lieu de travail qui permettent aux femmes de gérer les multiples responsabilités qu’elles gèrent actuellement, mais tout cela commence par la reconnaissance du problème.
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