par Roger Spitz
Les métaruptions entraînent des disruptions systémiques
Dans son livre Megatrends publié en 1982, John Naisbitt définit les megatrends (mégatendances) comme des processus transformateurs ayant une portée mondiale et un impact considérable. Les megatrends étant perçues comme relativement certaines, beaucoup considèrent qu’elles interagissent entre elles de manière prévisible. Cependant, extrapoler les tendances est dangereux, en particulier lorsqu’elles reposent sur des hypothèses erronées. Avec le temps, les hypothèses s’amplifient : les hypothèses erronées s’enchaînent et explosent. Plus le rythme du changement est rapide, plus il est vain d’analyser le passé.
Les métaruptions, abréviation de « disruption » avec le préfixe « méta », contrastent avec les megatrends de John Naisbitt. Une métaruption est une famille multidimensionnelle de disruptions systémiques qui provoquent des effets généralisés et auto-entretenus, y compris des changements dans la notion même de disruption. Les métaruptions sont imprévisibles et défient les règles établies, et la plupart des organisations ne disposent pas des outils nécessaires pour s’y préparer.
Survivre aux métaruptions : élargir la focale et multiplier les lentilles
Les métaruptions bouleversent ce que nous considérons comme normal. De la pandémie de COVID-19 aux crises énergétiques, en passant par les perturbations des chaînes d’approvisionnement, l’intelligence artificielle, les fake news, les guerres commerciales et les pressions inflationnistes sans précédent depuis des décennies, les perturbations systémiques se répercutent en cascade dans notre monde hyperconnecté. Pour nous préparer efficacement à l’imprévisible, nous devons rechercher les premiers signes de changement.
Les signaux sont des fragments du futur qui peuvent être observés aujourd’hui. Contrairement aux tendances, les signaux peuvent présager des changements avant qu’ils ne se concrétisent. Les signaux forts sont des indicateurs de changements imminents et les signaux faibles sont les premiers signes d’un changement qui pourrait s’amplifier et annoncer une rupture fondamentale.
Comme les signaux faibles apparaissent souvent en marge des connaissances établies, les réactions d’incrédulité peuvent servir de filtre pour les identifier. Les signaux faibles sont souvent négligés, même s’ils peuvent conduire à des événements transformationnels.
En fin de compte, l’impact des disruptions dépend de trois facteurs : votre perspective, votre état d’esprit et l’efficacité de votre réponse en temps opportun. Mais comment mieux se préparer à l’imprévisible ?
Les « cinq facteurs complexes » : décoder les niveaux d’incertitude
« Cela ne s’est jamais produit auparavant » n’est pas une raison pour écarter certaines possibilités. Dans le monde actuel, ce qui est « rare » devient de moins en moins rare. Nous devons comprendre et évaluer en permanence les différents types d’incertitude afin de mieux nous préparer aux métaruptions :
- Ce que l’on sait : les choses que nous savons que nous savons. Pour celles-ci, nous utilisons la définition de Michele Wucker du « rhinocéros gris ». Il n’y a aucune incertitude avec les rhinocéros gris. Nous pouvons les traiter comme des données inconnues, mais ils sont une certitude.
- Les connues inconnues : les choses que nous pensons connaître, mais que nous ne comprenons pas lorsqu’elles se manifestent. Par exemple, l’augmentation de la température et de l’acidité des océans a créé des conditions idéales pour la prolifération des méduses. Cette augmentation a ensuite entraîné des arrêts forcés dus à l’obstruction des systèmes de refroidissement des réacteurs nucléaires par des méduses. Ici, des situations que nous croyons comprendre peuvent devenir complexes, car de petits changements peuvent avoir des répercussions importantes et imprévisibles. Pour décrire ces inconnues connues, Postnormal Times utilise le terme « méduse noire ».
- Les inconnues connues : les choses que nous savons ne pas savoir, notamment les nouvelles maladies, les effets du changement climatique et les migrations humaines massives. Il s’agit d’événements hautement probables, mais peu de gens en ont conscience. Nous appelons ces inconnues connues les « éléphants noirs », d’après l’Institut pour la collapsologie.
- Les inconnues inconnues : les choses que nous ne savons pas que nous ne savons pas. Pour illustrer ces valeurs imprévisibles, nous utilisons les « cygnes noirs » de Nassim Nicholas Taleb.
- L’effet papillon : le battement d’ailes d’un insecte majestueux rassemble ces animaux. L’« effet papillon », défini par le météorologue Edward Lorenz, décrit comment de petits changements peuvent avoir des conséquences importantes et imprévisibles. Pour illustrer cela, Lorenz a décrit un papillon battant des ailes et influençant la formation d’une tornade ailleurs.
Cinq réponses pour se préparer à une disruption systémique
Les cinq grands animaux des safaris (buffles, léopards, lions, éléphants et rhinocéros) sont dangereux en raison de leur force et de leur taille. Dans notre monde en pleine mutation, nos cinq grands animaux sont les cinq animaux les plus importants dans notre « chasse » aux grands perturbateurs.
Voici cinq façons dont nous pouvons adapter nos réponses pour nous préparer à une disruption systémique.
- Ne négligez pas le rassemblement des rhinocéros
Imaginez le rhinocéros gris de Wucker : quels résultats à fort impact négligeons-nous, malgré les preuves qu’ils nous foncent déjà dessus ? Les deepfakes alimentés par l’IA se généralisent, menaçant les faits, les démocraties et la santé mentale. De plus, l’intelligence artificielle dispose déjà de capacités incroyables qui excellent dans des tâches bien définies. Pour développer des compétences que les machines ne peuvent pas imiter rapidement, nous devons remplacer les transferts mécaniques de connaissances par des capacités centrées sur l’humain. Avec les rhinocéros gris, les réponses sont souvent insuffisantes car les décisions arrivent trop tard. Pour éviter d’être piétiné, anticipez les impacts plutôt que de les ignorer. - Déviez la deuxième piqûre de la méduse
Si la situation initiale peut sembler prévisible, les méduses noires évoluent vers quelque chose qui défie notre imagination. À la croisée de la biologie et de la technologie, la domination de l’humanité pourrait-elle être remise en question ? Quels seront les effets en cascade de la désinformation ? Pour répondre aux méduses noires, nous devons tenir compte des effets boule de neige. Posons-nous les questions suivantes : « Et si cela prenait une ampleur plus importante que prévu ? » et « Quelles autres conséquences cela pourrait-il avoir ? » - Affronter l’éléphant dans la pièce
Les éléphants noirs constituent une menace évidente, mais rares sont ceux qui sont prêts à la reconnaître. Ils sont similaires aux rhinocéros gris, mais pour l’instant, l’éléphant reste immobile, contrairement au rhinocéros qui charge. Par exemple, lorsque nous déléguons à des systèmes d’IA, nos capacités décisionnelles s’érodent, ce qui nous fait perdre la capacité de prendre nous-mêmes des décisions complexes. Les éléphants noirs nécessitent de mobiliser des actions, d’aligner les parties prenantes et de comprendre les changements dans l’ensemble de nos systèmes complexes. Prenez vos responsabilités. Ne laissez pas les éléphants noirs vous prendre au dépourvu, sinon ils se transformeront en rhinocéros gris et chargeront. - Renforcer la résilience systémique face aux cygnes noirs
Les cygnes noirs de Taleb sont des événements imprévisibles mais extrêmement marquants. Le problème est que nous ne savons pas ce que nous ne savons pas. Même si les cygnes noirs sont imprévisibles, nous pouvons tout de même anticiper leur apparition, tout en construisant des fondations solides pour faire face à l’aléatoire de notre monde. Soyez attentifs aux événements rares mais profonds. - Attendez-vous à l’inattendu avec l’effet papillon
L’effet papillon est liminal : il peut se transformer en d’autres animaux. Comment les cinq facteurs complexes s’amplifient-ils lorsqu’ils entrent en collision ? Les disruptions systémiques sont un terrain fertile pour l’effet papillon. Ne pas s’y préparer a un coût élevé. Nos systèmes mondiaux sont interdépendants. Les impacts ne sont pas cloisonnés. De même, notre approche de l’évaluation du changement et de la préparation au futur ne devrait pas l’être non plus.
La meilleure réponse face aux cinq facteurs complexes est de s’attendre à l’inattendu. En reconnaissant les degrés d’incertitude, nous pouvons mieux nous préparer à une série de métaruptions à venir.
À propos de l’auteur
Roger Spitz est spécialiste de la disruption, de la prospective stratégique et du futur de la prise de décision. Il a occupé le poste de directeur monde en charge des fusions-acquisitions technologiques chez BNP Paribas, où il a encadré des transactions dépassant les 25 milliards de dollars.
Il est le président de Techistential, un cabinet de prospective stratégique qui accompagne les dirigeants, les conseils d’administration et les investisseurs sur la manière de gérer l’incertitude et de créer une valeur durable. En tant que président fondateur du Disruptive Futures Institute et conseiller expert du Global Foresight Network du Forum économique mondial, Roger dirige des initiatives visant à redéfinir le leadership dans un monde imprévisible.
Auteur de best-sellers et conférencier, Roger Spitz inspire le public du monde entier grâce à ses discours percutants qui incitent à revoir notre façon de penser, de décider et de manager dans un monde complexe et en proie à des disruptions systémiques.
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