Découvrez l’entretien exclusif avec Michaela Merk, spécialiste reconnue des marques de luxe à l’international.
Michaela Merk a fondé « Merk Vision & Partners », une société de conseil spécialisée en marketing stratégique et en management auprès des grandes marques du luxe, de la mode et des cosmétiques.
Michaela a occupé des postes de direction pendant près de 15 ans dans des enseignes emblématiques du secteur du luxe telles que L’Oréal, Marionnaud/AS Watson, ou encore Estée Lauder.
Elle est aujourd’hui experte en stratégie de la marque et accompagne les entreprises vers la digitalisation en les préparant aux enjeux futurs liés à la transformation du retail.
Titulaire d’un doctorat en marketing (Sorbonne/ HEC), Michaela Merk est également enseignante, auteur et donne des conférences dans plus de 20 pays.
Quelle est l’importance du leadership à une époque où le rôle des vendeurs change avec la digitalisation des points de vente ?
Avec la digitalisation, le rôle des vendeurs est devenu beaucoup plus complexe. Non seulement ils doivent vendre, mais surtout ils doivent savoir intégrer toutes ces nouvelles technologies au sein du parcours client de manière fluide, invisible, intelligente. Ceci nécessite une parfaite maitrise du digital tout en utilisant son intelligence émotionnelle et comportementale. Cette complexité nécessite d’être accompagnée au jour le jour par des leaders qui sont des véritables coaches, des modèles qui sont très proches de leurs équipes, qui les font grandir et les soutiennent dans cette nouvelle complexité. Un bon leader va aider ses équipes à mieux gérer cette complexité qui les dépasse souvent et restructure leur façon de travailler par une priorisation de leurs tâches multiples.
Comment décririez-vous une expérience client en magasin réussie ? Selon vous, quels sont les facteurs clés visant à enchanter et à fidéliser les clients ?
Un client ressent le fait d’avoir vécu une expérience à partir du moment où il a été touché par les émotions dans son parcours d’achat. Le parcours commence avant l’achat, devient réalité pendant l’achat, et perdure après l’achat. Donc la composante humaine qu’apportent les vendeurs et toutes les personnes en contact avec le client, influence ses émotions. Ses émotions ne sont pas stimulées quand le vendeur sait parfaitement expliquer son produit avec toutes ses sophistications techniques, ou lorsqu’il récite les faits de la marque. En revanche, elles sont déclenchées quand le vendeur a su comprendre le client dans toute sa complexité, son intention d’achat, son goût, son besoin du moment, sa culture. C’est quand le client se sent compris par les actions de la personne qui a le plaisir de le servir. Encore mieux, quand le vendeur est capable d’anticiper ses envies et arrive, dans ce cas, à surprendre son client, on arrive au summum de l’expérience client. Des établissements comme le Ritz Carlton ont mis cette capacité au sein de leur crédo et il suffit de faire un séjour au Ritz pour se rendre compte de cette réalité. On peut parler d’une expérience réussie quand le client a envie de raconter son expérience positive à son entourage, dans les réseaux sociaux ou à ses amis proches. La fidélisation et le recrutement sont liés et créent le socle du CRM, le customer relationship management.
Comment l’expérience client en magasin pourrait-elle rivaliser avec l’expérience client online révolutionnée par les toutes dernières innovations technologiques (réalité virtuelle, hologrammes…) ?
Il ne faut pas que les deux expériences rivalisent mais il faut qu’elles se complètent. Les deux canaux jouent un rôle différent : l’online doit inspirer grâce à des nouvelles technologies et un espace illimité d’expression. L’offline doit toucher par la présence de l’humain et des produits, qui dans le luxe ont souvent aussi une facette tactile intéressante et inattendue. Il reste encore difficile de toucher les sens sur l’ordinateur et rien ne peut remplacer une expérience vécue en magasin.
Mais on sait que 80% des parcours clients dans le luxe commencent en ligne et finissent en magasin pour ces raisons. Ainsi, l’online est un levier de recrutement parfait et permet de toucher des clients qui n’auraient jamais franchi la porte d’un magasin de luxe.
On entend souvent que l’industrie du luxe ne souffre pas de la crise et qu’elle continue sa croissance au fil des années. Selon vous, le secteur du luxe a-t-il souffert de la digitalisation ou, au contraire, cela a-t-il favorisé sa croissance ?
Nous sommes en plein milieu de l’ère de la digitalisation et les 100 principaux fabricants de produits de luxe à l’échelle globale ont généré une croissance de +11% en 2019, avec un chiffre d’affaires de 247 milliards de dollars (Deloitte, 2019). Les groupes comme Kering, LVMH ou L’Oréal Luxe ont mis la digitalisation au cœur de leur stratégie de développement et surperforment grâce à une intégration réussie du digital de manière omni-canale.
Des marques comme Gucci ou Balenciaga, qui ont énormément misé sur le levier du digital pour attirer les millénials, ont permis à Kering d’afficher une croissance de presque +30% vs l’année dernière. Ces chiffres montrent que le digital a su amplifier les ventes du luxe, a su toucher une nouvelle cible, plus jeune, mais certainement pas moins exigeante. Ce qui est intéressant est que, malgré cette croissance impressionnante liée à la présence en ligne, les magasins ne sont pas morts. Au contraire, ils attirent une clientèle très bien informée, experte qui a une soif de découvrir et de tester en vrai ce qu’ils ont vu en ligne.
Quels sont les enjeux propres à l’industrie du luxe face à sa digitalisation ?
Les plus grands enjeux stimulés par la digitalisation se trouvent surtout en interne des maisons de luxe – et ils sont nombreux. Je vais juste me focaliser sur 3 enjeux majeurs :
- La digitalisation oblige à travailler de manière plus transparente, or l’industrie de luxe a par définition toujours joué sur les codes de la confidentialité.
- La digitalisation touche à tous les domaines et nécessite une collaboration entre les différents départements de manière transversale – or, beaucoup de maisons de luxe ont toujours instauré un travail en silo ce qui cause des véritables barrières pour la transversalité.
- La digitalisation a accéléré tous les processus et pousse les maisons de luxe à augmenter leur temps de réactivité, à la fois en boutique mais aussi en service après-vente. Le client luxe est gâté par la rapidité des pure players comme Amazon et du mass market comme Zara et réclame aussi du luxe une immédiateté – or, c’est antinomique du luxe où le temps est long comme parfois les listes d’attente.
Quel est votre regard sur l’importance du rôle des « influenceurs » auprès des consommateurs, notamment dans l’industrie des cosmétiques ?
Leur rôle est fondamental, surtout auprès des clients de la génération Z, qui n’ont pas dépassé les 20 ans. Les influenceurs les inspirent, les initient, les influencent. Ce sont d’excellents recruteurs et storytellers. Ils ont souvent un langage qui correspond bien à cette jeune génération qui est plus dans l’expérience que le produit même. Leurs abonnés s’attachent aux influenceurs, qui les font rêver, qu’ils ont envie d’imiter. Une excellente influenceuse dans le secteur cosmétique, Sabrina, me disait dans une interview : « Je me sens comme une professeure auprès de mes abonnées. Ce qui m’anime est de les éduquer dans le bon sens, les faire grandir, leur transmettre ma passion et mon expertise dans le luxe et la cosmétique. Dans un marché ultra saturé par tous les lancements de nouveautés par an, il est notre responsabilité d’aider le client à choisir et à sélectionner les produits de la meilleure qualité. »
Le consommateur est aujourd’hui hyper connecté et très sollicité par les marques via le marketing en ligne et les réseaux sociaux. Ne pensez-vous pas que cela risque de se retourner contre les marques et que le consommateur lassé retournera au retail ?
Aujourd’hui, on sait qu’une marque qui communique beaucoup dans les réseaux sociaux augmente sa désirabilité, sa notoriété et attire de nouveaux clients – bien informés en magasin. Donc, au contraire, les maisons espèrent que grâce à leur activité grandissante en ligne le client va valider son achat en boutique. Le plus grand chiffre d’affaires peut être réalisé justement, quand une marque est parfaitement implantée dans plusieurs canaux online et offline et réussi à les combiner intelligemment. Quand j’ai travaillé sur la mise en place du premier site marchand de Lacoste, par exemple, nous avons en même temps augmenté le nombre de points de ventes physiques pour pouvoir faciliter aux client l’achat omni canal.
Quelle est votre citation favorite ?
« L’élégance, c’est quand l’intérieur est aussi beau que l’extérieur », Coco Chanel
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