Avant de devenir astronaute, Patrick Baudry était un pilote émérite qui a totalisé plus de 13.000 heures de vol sur plus de 300 appareils différents. C’est sa passion qui l’a guidé tout au long de sa carrière.
Alors que les gouvernements du monde entier mettent en place des mesures de confinement afin de ralentir la propagation du virus Covid-19, nous devons nous adapter à l’isolement social. Une grande majorité d’entre nous étant en télétravail et restreints dans les activités en extérieur, cet article partage les conseils préconisés par Patrick Baudry, fort d’une expérience unique en matière d’isolement, ayant passé jusqu’à plusieurs mois consécutifs dans l’espace dans le cadre de ses missions.
Il a dû apprendre à exécuter les gestes du quotidien dans le confinement le plus total, comme manger, faire de l’exercice, dormir… vivre en continue à proximité du reste de l’équipage. Patrick Baudry a suivi un programme d’entraînement intensif pour se préparer mentalement et physiquement à la vie à bord d’une navette spatiale.
Dans quelle mesure votre entraînement vous a-t-il préparé à la réalité de l’isolement et au fait de vivre à proximité des autres membres de l’équipage ?
L’entraînement c’est avant tout de l’apprentissage, de la répétition et ceci en équipage, c’est-à-dire les uns avec les autres. Quotidiennement, pendant des jours et des mois parfois, pendant de très longues périodes.
On se trouve à l’intérieur d’une maquette de la station ou d’une maquette du vaisseau spatial à travailler tous ensemble et pour ça, il faut évidemment très bien s’entendre.
L’entraînement c’est apprendre à vivre et à travailler ensemble.
Comment trouvez-vous la motivation nécessaire pour maintenir votre routine et vos habitudes quotidiennes ?
La motivation nécessaire c’est simplement celle de vouloir aller dans l’espace. C’est une motivation qui surpasse absolument tous les problèmes, qui surpasse tous les petits soucis qu’on peut avoir au quotidien. C’est plus une obsession quelque part, qu’une motivation. Donc ça nous permet de faire tout ce qu’on nous demande, tout ce qui est nécessaire pour les uns, pour les autres, avec les uns et avec les autres, au quotidien et sur des périodes un petit peu prolongées parfois.
Le sport faisait-il partie de votre routine quotidienne et, si oui, dans quelle mesure était-il important de rester en bonne forme physique ?
Le sport fait bien sûr partie de la routine de vie quotidienne. Personnellement, j’ai toujours pratiqué intensément le sport, pendant l’entraînement comme hors entraînement. Donc pour moi, c’est une partie de ma vie, ça fait partie de mes occupations chaque jour.
Alors bien sûr, quand on est dans l’espace, le sport prend une forme tout à fait différente. Pour les vols de longue durée, ce sont des exercices qui sont fastidieux, pénibles. Mais finalement, parfois l’entraînement ça peut être fastidieux et pénible. Donc on supporte tout ça, on sait que c’est une condition sine qua non pour rester en bonne forme là-haut et pour pouvoir revenir sur Terre avec une réelle aptitude à se réadapter aux conditions terrestres.
Quels ont été les aspects liés à l’isolement les plus difficiles à surmonter lors des missions et comment avez-vous appris à y faire face ?
Les aspects liés à l’isolement et à la solitude, pour moi il n’y en a pas eu. Je suis toujours concentré sur ce que je fais, avec un objectif. Et bien sûr, une fois dans l’espace, l’objectif premier était de réaliser le plus possible de points de mesure pour les scientifiques qui avaient préparé les expériences, et puis également, de profiter de chaque seconde.
Chaque seconde là-haut c’est un véritable bonheur, ce n’est pas tout à fait pareil que le confinement sur Terre bien sûr. Chaque minute que l’on peut préserver, on la passe derrière un hublot à regarder l’espace et la Terre. C’est un émerveillement constant.
J’ai des amis qui ont passé plus d’un an dans l’espace, et lorsqu’ils sont revenus sur Terre, ils regrettaient encore ce qu’ils avaient vécu et ce qu’ils avaient vu là-haut. Donc pour nous astronautes, je dirais que ce n’est pas un problème essentiel que celui de l’isolement. On n’est jamais isolés puisqu’on a la Terre devant nous.
Donc on a le monde, dans le sens univers, devant nous. Et en ce qui me concerne, je ne me suis jamais senti isolé et je n’ai jamais eu une seule seconde d’ennui.
Quels ont été les effets les plus négatifs sur le mental, dans le fait d’être isolé et de vivre dans un périmètre restreint ?
Il n’y a pas d’effets négatifs sur le mental de vivre dans un périmètre restreint.
Simplement, une question de concentration et puis surtout, de motivation pour ce que l’on fait. Je crois qu’en confinement finalement c’est pareil, quand on trouve quelque chose d’important à faire, et qu’on n’a pas le temps de faire habituellement, il faut s’y consacrer pleinement. Le temps passe et on ne voit pas le temps passer.
Quel est le meilleur conseil que vous puissiez donner aux gens pour les aider à garder le moral, compte tenu de la situation actuelle ?
Le meilleur conseil que je puisse donner aux gens pour garder le moral c’est de se dire tout d’abord que ce qu’ils font, c’est quelque chose d’important pour tous les autres, pour tous ceux qui nous entourent, ou tous ceux qui vivent sur la même planète que nous. Donc ça, c’est une situation très particulière, dans laquelle on se sent vraiment solidaires du reste des humains.
Ça c’est quelque chose de fondamental.
Vous savez, nous on a des psychologues, des psychiatres et des médecins qui nous suivent même quand on est dans l’espace.
Ce sont avant tout des partenaires et des amis, parce qu’on a souvent, la plupart d’entre nous, voire tous, un moral d’acier et rien ne peut nous atteindre.
Mais parfois les astronautes ont peut-être des problèmes de motivation ou autres, surtout pour les missions de longue durée.
En ce qui me concerne, ça n’a pas été le cas. Et aujourd’hui, comme hier, je me sens parfaitement solidaire de tous, de toutes les équipes. Pour nous, c’était les équipes qui étaient sur Terre et qui avaient préparé la mission avec nous et qui suivaient la mission avec nous.
Aujourd’hui, c’est tous ceux qui sont solidaires de ce qu’on fait, chacun d’entre nous.
Il faut trouver cette motivation et penser à tous ceux qui sont dans des conditions plus difficiles que soi-même.
Tous ceux qui travaillent dans des conditions difficiles, sans les protections parfois qui peuvent être nécessaires.
C’est en pensant à tout cela que je me sens privilégié de pouvoir travailler sur des choses qui me passionnent pendant ce temps où j’ai du temps justement.
Patrick Baudry, avec ce Covid-19 et tout ce qu’il nous apprend, que peut-on dire du rôle de l’astronaute aujourd’hui ? Est-ce que ça change la donne ?
Le rôle de l’astronaute, c’est très simple. C’est tout d’abord l’exploration, c’est-à-dire avancer, prendre des risques, avoir des projets. Lorsqu’il y a une crise, c’est savoir les gérer et les gérer avec courage, avec opiniâtreté. C’est le rôle de l’astronaute qui s’inscrit là-dedans. Avec toutes sortes de gens, de toutes professions, qui veulent faire avancer les choses, et dont ceux qui se battent aujourd’hui pour nous sortir de cette crise, de cette pandémie extrêmement difficile et douloureuse.
Le rôle de l’astronaute c’est de regarder plus loin et de voir cette Terre habitée par une humanité qui devrait être totalement solidaire. Cette crise nous en amène la démonstration et donc l’astronaute c’est un de ceux parmi des centaines de milliers qui travaillent pour l’ensemble des humains que nous sommes, sur notre planète.
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