Découvrez notre entretien exclusif avec Didier Bille : Spécialiste des Ressources Humaines et auteur de « DRH, la machine à broyer »
Au cours d’une expérience de plus de 20 ans en tant que DRH au sein d’entreprises multinationales, Didier Bille, ancien officier casque bleu, ingénieur de formation et formé à Harvard et au M.I.T., a fait face aux dérives des pratiques managériales qui l’ont amené à gérer l’humain comme un stock.
Ces pratiques « modernes » étant en désaccord croissant avec les valeurs qui l’avaient amené à exercer cette profession, Didier Bille a décidé de raccrocher. Il décide de publier l’ouvrage choc « DRH : la machine à broyer », pour dénoncer ce système jugé contre-productif. En parallèle, il fonde « Breaking-Bad Consulting », une société de conseil dédiée à la médiation et à la gestion de crise en entreprise.
Votre ouvrage « DRH : la machine à broyer » a été très largement médiatisé lors de sa publication. Vous résumez les méthodes RH décriées par « Recruter, casser, jeter ». Quelles sont, selon vous, les raisons qui ont entraîné les entreprises à appliquer cette politique ?
Je les résumerai en 3 mots : désociabilisation, externalités, paresse.
Désociabilisation car les entreprises ont oublié que le lieu de travail était aussi un espace social dans lequel les individus interagissaient au bénéfice direct ou indirect de l’entreprise elle-même.
Externalité car l’entreprise n’a pas à supporter la totalité des coûts de ses politiques et méthodes en matière de RH. Ainsi des pratiques très coûteuses socialement, peuvent être économiquement viable pour l’entreprise. Par exemple une mauvaise ergonomie des postes générant des maladies professionnelles entrainera des licenciements pour inaptitudes dont les victimes seront ensuite prises en charge par la société civile.
Paresse intellectuelle car l’être humain est complexe et changeant. Le comprendre et adapter ses pratiques est bien souvent une source d’efforts supplémentaires pour un management déjà en tension. La tentation est donc grande d’adopter des modèles simplistes et de faire rentrer dedans aux forceps les individualités qui forment l’entreprise.
L’économiste David Graeber a récemment fait émerger la notion de « bullshit jobs », qualifiant des employés de bureau soumis quotidiennement à une somme de tâches inutiles et sans réelle contribution à la société. Que pensez-vous de ce phénomène qui paraît toucher un nombre grandissant de salariés ?
En plus d’être anthropologue, David Graeber est aussi militant anarchiste américain, théoricien de la pensée libertaire nord-américaine et figure de proue du mouvement Occupy Wall Street. Cette mise au point permet d’éclairer son positionnement. Cependant son questionnement sur l’inflation de certaines fonctions et leur utilité n’est pas dénué d’intérêt. Je nuancerais cependant son propos. Pour moi le problème n’est pas tant les fonctions inutiles (qui existent) que les tâches et missions dépourvues d’utilités réelles mais qui parasitent dans des proportions variables toutes les fonctions de l’entreprise.
Vous avez quitté votre fonction de DRH au sein de multinationales pour effectuer une reconversion professionnelle dans le secteur de la restauration, en parallèle de vos activités de consultant. De plus en plus de salariés affirment ne plus trouver de sens à leur emploi actuel et se tournent également vers la reconversion professionnelle. Est-ce à votre sens une conséquence des pratiques managériales appliquées dans les entreprises aujourd’hui ?
Très partiellement. Ce manque de sens qui semble frapper de nombreuses personnes ne se rencontre pas uniquement dans le travail, mais également dans la famille, dans les engagements sociaux et dans notre vie privée. Or les seuls à pouvoir donner un sens à leurs actions sont les individus eux-mêmes. Le management a certainement une influence, mais ne chargeons pas trop sa barque, les individus doivent aussi se prendre en main et trouver des sources de satisfaction dans leur travail quotidien. C’est la que le mangement peut aider, mais pas se substituer.
Dans mon cas, mes activités se complètent et s’enrichissent mutuellement et je pense qu’il est sain, pour tous, d’avoir plusieurs piliers dans son existence.
Comment appréhendez-vous l’avenir de la fonction des Ressources Humaines dans les entreprises ?
La fonction RH c’est un minimum de 75% d’administration (qui n’est pas un gros mot pour moi) et 25% d’autres activités qui changent en fonctions des entreprises. C’est une fonction qui n’a toujours pas su trouver (ou su accepter) sa position dans l’entreprise, elle reste floue et mal définie pour le management et la majorité des salariés. Bien qu’utile quand elle est bien maitrisée, je pense malheureusement que c’est une fonction qui va disparaitre. Les entreprises engagées dans une simplification (libération) de leurs structures réduisent, voire éliminent, la fonction RH (hors administration qui est répartie sur d’autres services), perçue, souvent à raison, comme génératrice de complexités inutiles.
Pensez-vous que les méthodes managériales que vous dénoncez, vécues en multinationales, soient également applicables aux PME et aux startups ?
Oui. Si il y a des différences, elles sont au niveau du curseur, de l’intensité, pas au niveau de la nature des dysfonctionnements. La taille de l’entreprise influence également le taux de « dilution » des bonnes et moins bonnes pratiques.
Avec l’arrivée des « Millennials » en entreprise, peu enclins à accepter les sacrifices vécus par leurs parents, ne pensez-vous pas que ce système pourrait se retourner contre lui et entraîner une révolte des salariés ?
Les Millennials, comme avant eux les Gen Y, Gen X et les baby boomers sont une création artificielle de consultants en organisation et RH. Bien entendu l’époque à laquelle un individu nait et grandit influence sa personnalité, ses besoins et ses aspirations. Mais ce facteur n’est qu’un parmi une multitude d’autres : éducation, milieu social, types d’études, situation familiale, orientations politiques, religieuses et sentimentales, types d’entreprises, mode de management … et l’époque à laquelle l’individu nait est loin d’être le plus influent de ces facteurs … mais certainement le plus facile à « vendre ».
Quels sont les leaders qui vous inspirent et pourquoi ?
Au risque de paraitre prétentieux: aucun. Pour rappel je suis un acteur de l’entreprise, pas un artiste, pas un révolutionnaire, mais seulement un technicien expérimenté qui met mes capacités et mes compétences au service de l’entreprise. Bien entendu je ne suis pas insensible aux actes et aux paroles d’autrui, mais c’est dans les actes du quotidien que je trouve souvent de la sagesse et du courage.
Quelle est votre « citation » favorite ?
Cela change tous les jours et parfois plusieurs fois par jours et souvent, je n’en ai pas. « One quote doesn’t fit all ».
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